Dans le cadre de sa rubrique « itinéraires », notre site www.koony.ma a réalisé un entretien avec
Mme Fouzia Kadiri, qui nous a reçu dans sa villa à Casablanca.
Mme Fouzia Kadiri est Docteur en chirurgie ORL, Spécialiste en allergologie, en pathologies et maladies du sommeil et en psychologie médicale. Ex Chef de Service d’ ORL à l’hôpital Mohamed V de Casablanca, elle a également participé à l’ouverture du Service d’ORL de l’Hôpital Bouafi à Casablanca. Elle est Fondatrice et Présidente de la Société Marocaine des Maladies du Sommeil et de la Vigilance et Ex Directrice du Centre de Sommeil du Grand Casablanca, premier Centre des maladies du Sommeil au Maroc.
-Dr Fouzia Kadiri, pourriez-vous nous donner un aperçu de votre parcours
Née à Fez dans une famille de 5 fratries ; mon père était agent de la Conservation Foncière, puis conservateur foncier, et ma mère femme au foyer. J’ai suivi mes études primaires à l’école publique « L’Hippodrome » du quartier de l’hippodrome de la ville de Fez. Après avoir obtenu mon Bac Mathématiques et Sciences Physiques au Lycée Descartes de la mission culturelle française à Rabat, quartier Agdal, j’ai suivi mes études de médecine à la Faculté de Médecine de Rabat.
-Vous avez initié et organisé une colonie de vacances pour enfants diabétiques, pourriez-vous partager cette expérience avec nos lectrices ?
En 1982, à la fin de mes études médicales, j’étais alors âgée de 24 ans, et pendant mon stage de pédiatrie, j’ai constaté que les enfants diabétiques étaient hospitalisés dans le service en moyenne 6 à 9 mois par an, ce qui avait un impact négatif sur leur parcours scolaire et sur leur développement physique et psychique à cause de leur éloignement de leur famille. J’ai alors eu l’idée d’organiser une colonie de vacances pour ces enfants pour les éduquer et les rendre autonomes quant à la prise en charge de leur maladie au quotidien. Il me paraissait nécessaire de leurs expliquer leur maladie, ses manifestations, son évolution, ses traitements, le respect du régime alimentaire ainsi que la gestion des injections d’insuline. C’était une idée nouvelle dans notre pays et notre système de santé, mais j’y croyais fermement et j’étais convaincue que c’était une des meilleures façons de rendre ces enfants indépendants des Centres de Santé où ils devaient aller chaque jour pour faire leurs injections. Cette initiative allait leurs permettre également d’apprendre à contrôler leur diabète et éviter ainsi les longs mois d’hospitalisation.
Pour concrétiser mon idée et avec l’accord du Pr. Barroudi Chef du Service de Pédiatrie de l’Hôpital d’Enfant du CHU de Rabat, j’ai pris contact avec le Ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque, qui a bien accueilli ma proposition. Il m’a assistée pour la mettre en œuvre en mettant à la disposition de la colonie de vacance le local, le personnel de service, les encadrants, les éducateurs et les moniteurs qualifiés de colonies de vacances.
Ainsi, 15 enfants diabétiques ont participé à la colonie de vacances qui eu lieu à Harhoura et qui a duré deux semaines. Ces enfants ont bénéficié d’un programme varié, englobant des ateliers de sensibilisation, d’éducation sanitaire et des séances d’activités sportives, artistiques et récréatives, une grande première pour eux tous.
Après leur retour de cette colonie, le corps médical du service de pédiatrie a constaté que ces enfants n’ont plus eu besoin d’être hospitalisés, car ils sont devenus complètement autonomes en ce qui concerne la prise en charge des contraintes de leur régime alimentaire et des premiers gestes d’auto administration des médicaments et des injections.
Le Professeur de Pédiatrie m’avait alors demandé de traiter et de soutenir cette expérience réussie comme mon sujet de thèse, afin de garder une traçabilité et de permettre de capitaliser et de partager cette expérience pilote à l’échelle nationale et internationale.
Ainsi, j’ai complété cette expérience de terrain par une recherche et une étude documentaire qui a couvert les volets psychologique, sociologique, médical, pédiatrique, éducatif et récréatif. Ma thèse a été sélectionnée pour l’échange international.
La réussite de cette action m’a valu beaucoup d’animosités et de résistances de la part de certains universitaires qui ne voyaient en moi qu’une jeune étudiante sans titre ni fonction. Le travail et son résultat étaient trop importants pour ne pas se l’accaparer et le présenter lors de congrès nationaux et internationaux comme s’ils en étaient les initiateurs.
Bien que le corps médical concerné m’avait sollicitée pour me spécialiser en diabétologie pédiatrique pour continuer cette expérience, et bien que la chirurgie fût à l’époque perçue comme « masculine », j’ai opté pour une spécialité de chirurgie ORL, convaincue de la pertinence de mon choix suite à un entretien d’information préliminaire avec le Chef du Département ORL de Casablanca de l’époque.
Quelques temps après, Pr. Amina Balafrej m’avait contactée pour m’informer de sa volonté de reprendre l’expérience de la colonie de vacances pour enfants diabétiques, pour la pérenniser et elle a réussi son challenge.
-Comment avez-vous géré votre immersion professionnelle en tant que femme Docteur en Chirurgie ?
En tant que femme, j’ai subi une réelle discrimination durant mes années de formation de spécialité, car les professeurs chargés de m’encadrer ne me confiaient que des tâches routinières et ne m’affectaient jamais pour une intervention au Bloc Opératoire. Je devais m’ingénier pour avoir accès au Bloc pour pratiquer des interventions. En général, je profitais de la plage horaire entre 11h30mn et 14h pour remplacer des collègues qui voulaient s’esquiver pour aller chercher leurs enfants à l’école ou pour aller déjeuner.
Cette situation a duré jusqu’à ma réussite à l’examen du CESS français d’ORL (Certificat d’Etudes Supérieures de Spécialité). C’était un examen national français pour tous les francophones inscrits en France. Cette année là, je fus la seule marocaine (parmi le groupe de mes concitoyens) à réussir cet examen final et j’ai été classée deuxième à la Faculté de Bordeaux. C’est seulement depuis ce jour-là que le regard que mes collègues portaient sur moi a changé, et que je commençais à voir mon nom sur la liste des interventions chirurgicales. J’ai compris alors que, pour que les compétences d’une femme soient appréciées, il lui fallait exceller dans son domaine, alors que pour un homme, il lui suffisait d’être tout simplement qualifié !!!
-Avez-vous enrichie votre parcours avec d’autres qualifications ?
En parallèle avec ma spécialité d’ORL, j’ai préparé une formation d’Allergologie. Les rhinites allergiques étant très fréquentes à Casablanca, il fallait une prise en charge spécialisée pour éviter le passage vers l’asthme qui est une maladie beaucoup plus lourde. C’est ainsi qu’a été crée la première consultation ORL/Allergologie à l’échelle nationale avec un travail de recherche réalisé en 1994 à l’Hôpital Bouafi et qui a été publié dans plusieurs congrès.
Cependant seule la chirurgie de l’oreille me passionnait infiniment. Pour cela j’ai suivi des cours de perfectionnement de chirurgie de l’oreille, avec le Pr Sultan, qui dirigeait l’Institut International d’Otologie Pratique à Paris (cours pratiques de dissection du rocher (du crâne) humain et de chirurgie de l’oreille). Constatant mon niveau de performance initial, ce dernier me sollicite pour encadrer avec lui cette formation au lieu d’y participer. Il était tellement satisfait qu’il me demande de revenir deux fois par an pour encadrer avec lui cette formation. J’ai aussi encadré cette formation en anglais à l’échelle internationale, pour des chirurgiens ORL arabes en Jordanie.
-Vous avez-été la première au Maroc à pratiquer des opérations ORL sous anesthésie locale, pourriez-vous nous en parler ?
Quand j’étais Responsable du Service de Chirurgie ORL à l’Hôpital Mohamed V à Casablanca, et devant l’absence d’un médecin anesthésiste à cause des limites budgétaires et de la pénurie du personnel médical à l’époque, j’ai d’abord suivi formation à Barcelone chez le Pr. Garcia Ibanez, puis j’ai initié la pratique des interventions chirurgicales ORL sous anesthésie locale en milieu hospitalier, ce qui était une première au Maroc.
-Aujourd’hui vous êtes Présidente de la Société Marocaine des Maladies du Sommeil et de la Vigilance, qu’elle est la mission de votre organisation ?
J’ai été la première marocaine à me former et à obtenir le diplôme universitaire en Pathologie du Sommeil (DU de Paris). A l’issue de cette formation, j’ai crée l’Association Marocaine du Sommeil et de la Vigilance pour promouvoir cette spécialité qui n’existait pas au Maroc. J’ai sensibilisé et formé ainsi des médecins à travers tout le Maroc ; des médecins généralistes, des ORL, des cardiologues et surtout les médecins agréés à délivrer le permis de conduire. J’ai également réalisé plusieurs émissions de sensibilisation pour le grand public sur 2M et Medi1 ainsi que sur plusieurs chaines de radio.
Cette Association est devenue plus tard la Société Marocaine des maladies du Sommeil et de la Vigilance regroupant des médecins de tous les horizons ; privés, hospitaliers et universitaires. Depuis 2010 nous organisons des congrès nationaux annuels, maghrébin (2016) et international (2018). Nous avons créé à travers les différents travaux de recherche, les congrès et les conférences, un réseau de partenariats avec le Ministère de la Santé, le Ministère des Transports, le CNPAC (comité national de la prévention des accidents de la circulation) et Préventica (Salon Santé et Sécurité au Travail)…
J’ai été invité et j’ai animé des conférences à travers le monde ; France, Algérie, Tunisie, Dubaï, Russie…
-Après avoir pris votre retraite professionnelle, êtes-vous toujours impliquée dans des projets innovants ?
Actuellement je suis à la retraite de la fonction publique mais je continue à me battre pour apporter du nouveau à ma vie et à mon pays. Je développe une nouvelle thérapie, celle de la médecine quantique à travers les neurosciences et les lois universelles qui gèrent notre « Etre ».
-Que sont devenus aujourd’hui vos précieux projets humains que représentent vos enfants ?
Ma vie familiale a été aussi riche que ma vie professionnelle. Mariée très jeune (22 ans),
je suis mère de 4 enfants ; une fille et 3 garçons qui sont des jeunes hommes aujourd’hui :
- Mon ainée est ingénieur et père de 2 enfants
- Mon cadet est architecte, il a repris le cabinet de son père
- Mon benjamin est pilote de ligne à la RAM
Ma fille, la toute dernière a emprunté ma voie et, malgré un bac mathématique avec mention, elle a fait le choix des études médicales. Elle est actuellement résidente en ORL et elle est maman d’un enfant.
-Quel est votre conseil aux femmes et aux jeunes filles?
Pour réussir leur vie et leur carrière, mon conseil aux jeunes filles lycéennes et aux étudiantes est de savoir regarder loin, être ambitieuse dans ses rêves, même si la vie n’est pas toujours belle ni facile : Puisez l’énergie en vous car votre histoire vous appartient et c’est à vous de vous l’approprier.
Quant aux femmes déjà en poste, je leur dis : armez-vous de patience et de persévérance pour savourer les résultats en fin de carrière. Entourez vous d’hommes sains et aimants ; votre père, votre frère ou votre mari et faites en un ami et élargissez aussi au maximum votre réseau d’ami-e-s.
Mon Mot de la Fin
La vie est magnifique à qui sait DONNER………… puis ouvrir les bras pour recevoir.
Je vous félicite pour votre Impressionant parcours et votre réussite au niveau personnel et professionnel. Une femme comme vous apporte est une fierté pour nous les femmes et pour notre pays. Merci!
Les commentaires sont fermés